Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie : des ambitions inédites mais un bilan contrasté
En condamnant en appel le 29 novembre 2017 le chef de guerre croate Slobodan Parljak, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a tourné la page de plus de 20 ans de procédure judiciaire. Fermant ses portes le 31 décembre 2017, le bilan de cette cour internationale de justice va au-delà des 163 actes d’accusation, 123 arrestations et 111 procès qui en ont procédés. Le travail considérable effectué au cours de ces 25 ans ne se résume pas à la conclusion tragique et théâtrale de son dernier rendu, le suicide en pleine audience de son dernier accusé, Slobodan Parljak. Ces dernières décisions donnent ainsi l’occasion de revenir sur quelques dimensions de l’histoire de cette cour de justice hors norme, aux ambitions inédites mais au bilan contrasté.
Une cour de justice aux ambitions inédites
Le 25 mai 1993, suite au rapport d’une commission d’experts ayant constaté les exactions et crimes de masse commis en ex-Yougoslavie, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 827, portant sur la création du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Pendant un quart de siècle, en réponse aux violations patentes du droit humanitaire, cette cour a statué sur plus de 160 dossiers. De la première condamnation pour génocide le 2 août 2001 du général serbe Radislav Krstic jusqu’au coup de théâtre final, le TPIY a radicalement transformé le paysage du droit international humanitaire.
La première mission dévolue au TPIY était d’établir les faits. L’état de droit s’accommode fort mal de la guerre civile et dans l’ex-Yougoslavie en guerre, à l’horreur des massacres, s’ajoutait une confusion totale dans la recherche des responsabilités. Le rassemblement de nombreux éléments factuels a néanmoins permis de mieux comprendre les exactions commises. En Bosnie-Herzégovine, ces témoignages ont apporté un éclairage nouveau sur la manière dont s’est déroulé le siège de Sarajevo, sur le fonctionnement des camps de la région de Prijedor ou sur le génocide de Srebrenica. Ces investigations ont conduit à la condamnation le 22 novembre 2017 de Ratklo Madic, leader militaire des Serbes de Bosnie, sous les chefs de crime de guerre et de génocide.
La justice internationale a dû trancher sur ces faits. En ce sens, le TPIY a mis en place une jurisprudence inédite. Les génocides et viols de masse ont trouvé avec le TPIY une réponse juridique internationale, s’exprimant sur les crimes commis par l’ensemble des parties. Cette cour se détache à cet égard des procès de Nuremberg ou de Tokyo, plus discutables en ce qui concerne les droits de la défense selon Julian Fernandez, professeur à l’université Paris II. Serbes, Bosniaques ou Croates, chacun a dû répondre des crimes rapportés.
Un bilan contrasté
« Un processus judiciaire en soi ne peut jamais atteindre la réconciliation, qui doit venir de l’intérieur de la société ». En concluant ainsi les travaux du TPIY, le procureur Serge Brammertz a relevé une des limites de ce tribunal. Ayant en partie vocation à aider à la réconciliation, le TPIY s’est régulièrement heurté aux procès en disqualification intentés par les populations de l’ex-Yougoslavie qui ne trouvaient pas leur compte dans les décisions rendues. La lourdeur des procédures, inspirées de la Common law anglo-saxonne, ainsi que la difficulté d’établir une hiérarchie des peines entres les accusés et leur responsabilité (1) ont bien souvent cristallisé l’incompréhension des différentes parties envers cette justice transitionnelle. La condamnation en novembre 2017 de Ratko Mladic a ainsi été perçue par Milorad Dodik, président de la République serbe de Bosnie, comme « une claque honteuse infligée au peuple», soulevant la colère du peuple serbe. Elle s’est traduite par des manifestations massives, notamment à Bjeljinja, centre névralgique de la résistance serbe.
Un quart de siècle après le début des travaux du TPIY, les Balkans restent déchirés par chaque décision de justice. En ex-Yougoslavie, la mémoire vive de populations traumatisées par une décennie de massacre et la nécessité que la justice passe pour que la paix puisse advenir posent les termes d’une équation dont la solution ne résidera pas uniquement dans les conclusions d’un tribunal d’exception. La lente reconstruction des Balkans devra venir de l’intérieur de la société. Et le chantier est encore immense.
Note :
(1) La peine retenue contre Radovan Karadzic (leader des serbes de Bosnie) s’est ainsi révélée plus légère que celles infligées à des personnalités coupables de faits réalisés à un échelon de responsabilité moindre.